dimanche 7 juillet 2013

TONY SOPRANO N'EST PAS MORT

Source : Les Soprano, saison 1, HBO



















Attention : mini-spoile à la fin

Hier, en rentrant de la Cité des Anges, j'ai vécu un moment assez déconcertant. Je rongeais mon frein au Burger King du coin de la 22ème allée de l'aéroport JFK, le temps d'une interminable escale. Le poids de ma dernière décision m'avait plongé dans un état de somnolence avancé et je ne souhaitais que deux choses : mon transat et une rediffusion d'Entourage. J'étais proche de m'endormir, lorsque le mouvement ballottant d'une silhouette assise au café d'en face attira mon attention. Ce dos courbé et massif, dissimulé par une chemise grise à rayure, provoquait cette désagréable sensation de déjà-vu. J'eus à peine le temps de faire trois pas, qu'il jeta un bref mouvement de tête circonspect sur le côté. Ce fut assez pour me faire découvrir le pot au rose. Je me remis en marche, guidé par quelque chose de supérieur, et le rejoignis à sa table.

Caché sous sa casquette, le visage rond et jovial, les yeux tombants et mélancoliques, il renifle furtivement et s'adresse à moi en essayant de camoufler au mieux sa voix nasillarde. Je n'en reviens pas. Tony Soprano est toujours en vie.

« Qu'est-ce que tu me veux bordel? ». La question est directe, comme le bonhomme. J'avoue que je ne sais pas trop quoi lui répondre, alors je lui rétorque en souriant, « Ça va Tony? ». Il semble gêné. Il doit se sentir bête d'avoir été reconnu aussi facilement. « Comment c'était l'Italie? ». Je regrette immédiatement ma lourdeur. Son regard vire à la tristesse et je laisse tomber mon sourire de fan abruti. Le silence qui s'installe est lourd et beau à la fois. Contre toute attente, il me propose un café. J'essaye de ne rien montrer, mais mes yeux doivent certainement me trahir.

«Le vol Airfrance, AF006, à destination de Paris Charles de Gaulle... ». La tuile. Combien de chances a-t-on dans sa vie de boire un café avec Tony Soprano? Ma décision est vite prise, je trouverai bien une solution pour rentrer en France. « Un Cappucc' s'il vous plaît! ». J'ai un peu plus de mille questions à lui poser, mais c'est lui qui prend les devants en me mettant à l'aise avec son immortel sourire. « Je ne pense pas que ce que j'ai à dire soit intéressant. Qu'est-ce qu'on en a à branler de ma vie personnelle? ». Il sourit avec tendresse et je commence à me détendre. Et Tony de continuer, « ce n'est pas que j'ai peur de révéler des choses personnelles. C'est seulement que je ne vois vraiment, mais vraiment pas pourquoi les gens trouveraient ce genre de chose intéressant ». Nous échangeons quelques francs rires. J'ai la sensation qu'une complicité naît entre nous. Mais son regard change en une fraction de seconde, il me glace le sang. « C'est un monde sombre, très sombre, et tu y es jusqu'au cou. Pourtant, j'ai toujours cette sensation d'avoir la chance d'en faire parti ». J'ai un peu de mal à suivre. Mon incompréhension est palpable et il fonce dans la brèche, désabusé et vexé. Il s'emballe. « C'est comme si montrer ses émotions était devenu une mauvaise chose. Comme s'il y avait quelque chose qui allait pas chez vous. Comme si tu ressentais des émotions puissantes et tu les exprimes au lieu de les garder pour toi, et alors tu deviens le type qui a besoin de Prozac. C'est ça le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui ».

La conversation semble ne mener nulle part. Mais ce n'est peut-être pas son but. Ce n'est qu'en en saisissant sa portée métaphysique que j'y verrai plus clair. « Tony, qu'est ce que tu as ressenti quand tu as compris que c'était terminé? ». Je ne transpire pas la sérénité après ma question. Bizarrement, son sourire revient, mais je reste sur mes gardes. Le type a sa réputation. « C'était comme une danse, comme regarder un accident de voiture ». Un silence étrange s'installe. Je ne comprends vraiment plus rien, alors j'essaie de détendre l'atmosphère. « Et qu'est-ce qu'il est devenu le russe alors, hein? ».

...« Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre du Russe!!! ». Le ton de la voix est tranchant et désespéré. C'est David Chase à la table à côté ! Les choses deviennent vraiment étranges et virent à l'incompréhension générale lorsque Christopher Moltisanti surgit de nulle part pour faire sortir le créateur des Soprano du café comme un vieux fou. « Je ne sais pas où est passé ce type!!! », s'échine à nous convaincre le pauvre Chase.

Tony ne moufte pas. Il finit son café tranquillement. Je n'existe déjà plus pour lui. Je ne remarque que maintenant sa chemise tâchée de sang, tout comme son maillot de corps en dessous. J'aimerais continuer à lui parler, mais il se lève, enfonce encore un peu plus sa casquette et part en laissant 5 dollars de pourboire. Il s'éloigne dans la foule, incognito. J'essaie de me lever pour le rattraper, mais je n'y arrive pas. Une femme inconnue au bataillon vient se poser devant moi et tente comme elle peut de me tirer de cette chaise, sans succès. C'est pas grave, tout devient flou.

Je fus réveillé en sursaut en salle d'embarquement, secoué par l'exaspération de l'hôtesse me pressant de monter dans l'avion. Trempé de sueur et tentant de me remettre de mes émotions, j'ignorai son agitation et marchai tranquillement avec un grand sourire. Tony Soprano est éternel.

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